Anticipez-vous la réponse ?
Nos entreprises sont le reflet de nos systèmes d’enseignement. Tous, des directeurs aux opérateurs de terrain, nous sommes passés par les bancs de l’école et du secondaire et, pour une partie significative des membres de l’entreprise, par ceux de l’enseignement supérieur. Ce passage laisse inévitablement des traces importantes et, par certains aspects, dommageables dans nos comportements en entreprise. À cet égard, celles laissées chez les managers sont bien entendu les plus critiques, car leurs comportements sont les catalyseurs du fonctionnement de l’entreprise.
Lors du premier article sur ce sujet des entreprises victimes du système académique, nous avons débattu de l'ambiguïté du rôle de l’enseignant formateur et évaluateur (voir lien en bas de page) et de la manière dont elle influence nos comportements managériaux. Posons-nous à présent la question suivante. Combien de fois, pendant nos années d’études, nos enseignants nous ont-ils posé des questions dont ils ne connaissaient pas la réponse ? En ce qui me concerne, il a fallu attendre la fin de mes études d’ingénieur et j’ai eu la chance d’avoir un maître de mémoire qui, avec bienveillance, m’a laissé me débattre dans la définition même du sujet et la manière de l’aborder. Bien entendu, il est nécessaire de valider les apprentissages des méthodes, des savoirs, et des outils. Mais dans bien des examens cette validation inclut une réponse exacte et souvent unique à la problématique posée. Cela reflète-t-il la réalité de nos entreprises ? Ne sont-elles confrontées qu’à des questions dont la réponse est connue, à des hypothèses invariables ? Bien sûr que non ! Ainsi, par exemple, notre passage par la crise sanitaire met en évidence l’incertitude avec laquelle nous devons vivre et qui demande une adaptation continue.
Source de difficultés
Du coup, voilà ! D’une manière générale nous sommes peu préparés aux incertitudes, aux conditions variables et aux problèmes nouveaux. Éduqués à ce que la réponse existe et vienne du maître, nous nous tournons vers lui dès que les solutions ne sont plus le fruit de méthodes éprouvées. Aujourd’hui, on observe même dans de nombreuses entreprises, que, dans ces circonstances exceptionnelles, le simple fait de changer l’environnement du travail fait perdre à des collaborateurs, l’initiative sur leurs propres tâches. Et voilà comment les entrepreneurs et managers peuvent se trouver submergés et bientôt épuisés.
Ne nous méprenons pas ! La faute, si faute il y a, n’en incombe pas aux seuls collaborateurs. Combien de managers, ne se comportent-ils pas comme les détenteurs de la meilleure réponse ? Combien d’entre eux, maîtres dans leurs entreprises, attendent de leurs collaborateurs de conforter leurs attentes ou, de dégager ? Les exemples sont légion. En voici un pour illustrer le propos. Il y a peu de temps, une jeune femme ingénieur m’expliquait que son supérieur lui avait fait refaire trois fois la même étude de marché pour l’achat d’un équipement. La troisième fois fut la bonne, car sa conclusion correspondait au résultat que son supérieur avait annoncé oralement au patron de l’entreprise avant d’entamer l’étude. Pour la petite histoire, la frustration de la jeune dame d’être renvoyée deux fois à ses études pour ce motif, qu’elle finit par comprendre, fut la cause de sa démission et dès lors d’une perte financière pour l’entreprise.
Pendant des années, nous avons été formés avec cette idée que chaque problème avait sa solution, et chaque question, sa réponse. Et si comme pour les dissertations, les réponses pouvaient être variées, celle qui rencontrait les attentes et les valeurs du maître correcteur avait bien plus de chance de nous valoriser que celle qui remettait en cause ses pensées. Il faut bien avouer que l’on observe parfois les mêmes situations lorsqu’un collaborateur émet une idée innovatrice de business. Au-delà de la bonne idée, il a intérêt dans bien des cas, à savoir comment la faire passer auprès de sa hiérarchie.
Comment font donc les entreprises pour s’adapter au principe de la réponse connue ? On y travaille comme à l’école. Sous le contrôle du superviseur, on fixe les hypothèses et conditions pour arriver à une réponse unique. Certes, à un instant « T » donné, il est nécessaire de faire des choix et donc de se donner des hypothèses. Cependant, le danger est de considérer ces hypothèses comme invariables voire, immuables. Dans une approche top down, de nombreux managers s’en trouvent coincés. Ils ne changent pas les règles en cours de jeu, disent-ils. Ils craignent que cela ne crée le chaos. Ils craignent de perdre leur crédibilité. Certains craignent parfois de ne pouvoir opérer à titre personnel par manque de compétences dans le cadre des nouvelles hypothèses (c’est un des freins au déploiement du numérique). Dans ce cas, ils ne l’avoueront pas. Toutes ces craintes sont fondées dans beaucoup d’entreprises. Cependant, elles se heurtent à une réalité grandissante : les hypothèses sont de plus en plus rapidement changeantes.
Ainsi, nos comportements n’ont pas été préparés à la réalité des entreprises. Il y a quelques décennies (jusqu’au début des années mille neuf cent soixante dix), l’environnement relativement stable dans lequel les entreprises évoluaient, permettait les évolutions lentes de l’approche top-down. Aujourd’hui, les entreprises sont invitées à l’agilité, corollaire de l’acceptation que les solutions sont de moins en moins connues quand les défis se posent. Ne nous y trompons pas. Cette évolution n’est pas l’apanage des sciences humaines et des modèles d’affaires. Les méthodes scientifiques et les techniques ne sont pas en reste. L’évolution rapide des technologies nous invite à savoir remettre en cause nos pratiques.
Il nous faut donc changer.
La bonne nouvelle c’est que plusieurs entreprises l’ont fait. Les ingrédients du changement sont la raison d’être, le but, l’appropriation, la création de rôles, l’intelligence collective, la hiérarchie des contenus, une nouvelle culture, la place des collaborateurs. Mais comment ces ingrédients sont-ils articulés ? Des bonnes pratiques sont rapportées. Mais les bonnes pratiques ne peuvent être dissociées de l’environnement et des personnes qui les exécutent. Elles sont inspirantes mais pas copiables.
Il nous faut visualiser où l’on va. C’est là que de nombreux entrepreneurs et managers me partagent leur besoin. Ne se considérant ni charismatiques, ni particulièrement inspirés, ils hésitent à s’engager dans une transformation. Parfois, ils se sont lancés dans des actions et dans l’apprentissage d’outils vers plus de collectif sans en dégager la cohérence. Certains ont opté pour des modèles sociocratiques trop complexes pour favoriser l’agilité et l'engagement. Apparaît alors la difficulté d’embarquer leurs managers dans la transformation.
Pour réussir durablement il faut aligner la structure organisationnelle sur le but de l'entreprise. En le faisant vous créerez l'environnement de travail qui permet à chacun de découvrir son importance et l’importance de l'autre.
Modèle alternatif
Le sport collectif et son organisation offrent à nouveau un modèle efficace et applicable pour les entreprises. Remarquons qu’en matière de formation, l'entraînement ne fournit pas au sportif des réponses uniques ou connues à appliquer lors des compétitions. Même à l'entraînement, il n’y a pas deux résultats exactement semblables à une suite de gestes collectifs. Une compétition sportive est par nature un défi dont les conditions et hypothèses sont en évolution continue. La réponse n’est pas unique et le déroulement n’est pas établi à l’avance. La gagner est un travail collectif, ou chacun a sa part de responsabilité et d’autonomie.
Modèle simple et visuel, pratiqué par des professionnels, la transformation est applicable à toutes les entreprises, bien entendu avec des conditions de mise en œuvre. Le modèle est très riche et validé par la théorie des organisations relationnelles. Il couvre les aspects organisationnels, culturels et même l’art de travailler ensemble. Rappelons ainsi que les méthodes agiles avec leur « runs » et leurs « scrums » sont nées de l’observation du rugby à XV. Mais il y a bien plus à en tirer. Peut-être, votre entreprise est-elle déjà calquée sur ce modèle. Quelle en est votre expérience ?
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