Vous êtes désireux d’avoir des collaborateurs plus responsables et plus autonomes. Mais comment s’y prendre ? Voici une pratique que j’ai mise en place chez Mitra Power Systems dans le cadre du modèle ovale. Une discussion tendue avec un de mes collaborateurs m’a poussé à développer un petit outil qui nous a permis de nous développer l’un et l’autre. Je vous le partage bien volontiers. Faîtes l’exercice ! Puis dites-moi s’il vous est utile, autant qu’il l’a été pour moi.
Les 4 étapes vers l’autonomie
L’échelle des apprentissages est une grille de lecture de l’autonomie que prend un individu dans l’accomplissement de ses tâches. Elle se base sur l’adoption de quatre paliers dans la maîtrise de celles-ci.
- J’apprends à faire.
- J’agis sous la direction d’un superviseur.
- J’agis en parfaite autonomie dans des conditions variables.
- Je maîtrise la tâche au point de pouvoir modifier la méthode pour améliorer l’efficience ou le résultat.
Passons brièvement chaque étape en revue.
- Apprendre à faire est l’étape de formation ou d’apprentissage. Elle implique l’existence d’une relation entre deux personnes. Une qui transmet et l’autre qui reçoit. À défaut, l’apprentissage peut se faire en autodidacte par la lecture ou le visionnage de capsules vidéo. Lorsque l’apprentissage est proposé par le supérieur, il veillera pour le moins à se soucier de savoir si l’apprenti a compris, et à répondre à toutes les questions qu’il se pose. À l’époque de la création de cet outil, je me suis surpris du peu de matériel et de préparation que j’avais pour la transmission de mes savoirs personnels, pourtant indispensable si je voulais développer l’autonomie de mes collaborateurs.
- Agir sous la direction d’un superviseur est l’étape pratiquée le plus fréquemment. Cette étape est même volontiers utilisée comme méthode d’apprentissage. Cependant, souvent sans méthode, nous appliquons spontanément et sans réflexion une échelle élastique à la supervision. Le mieux pour apprendre n’est-il pas de faire ? Certes, oui, mais, d’une part, clairement séparer cette étape de la première, et, d’autre part, clarifier les critères qui permettent de considérer que la tâche est acquise, permettent d’objectiver la progression et créent un lien de confiance entre superviseur et supervisé.
- Agir en parfaite autonomie ne signifie pas que la personne supervisée est abandonnée. Dans cette phase, les maîtres mots du superviseur sont laisser faire, observer de loin c'est à dire chercher à comprendre le contexte, questionner si on pense pouvoir aider. Ce faisant, une relation de confiance s'installe. La personne s'adressera à son superviseur lorsqu'elle aura besoin d'un conseil. Lorsqu’elle le fera, deux raisons sont possibles.
- Soit, les conditions dans lesquelles elle doit l’exécuter faisaient partie de son apprentissage mais elle ne maîtrise pas totalement la tâche. Dans ce cas, il faut rester bienveillant. Il faut surtout être attentif à ne pas faire les choses ou prendre une décision à sa place. Il faut plutôt poser les questions qui lui permettent de comprendre et corriger le tir. Est-ce un problème de compétences "techniques" (skills) ou est-ce un problème d'interprétation de la systémique (séquence et environnement). Sur le rôle du superviseur, voir aussi « Les entreprises victimes du système académique, 1/3 »
- Soit, elle revient vers son superviseur avec une situation nouvelle, une multiplicité d’options et c’est alors, pour les deux, l’occasion d’une heureuse collaboration dans laquelle il est souhaitable de laisser le leadership à la personne supervisée. Voir aussi notre deuxième article sur les questions dont on connaît la réponse « Les entreprises du système académique, 2/3 ».
- L’étape ultime de l’autonomie est l'adaptation à de nouvelles situations. À ce stade, vous avez réussi à maximiser le potentiel de votre collaborateur sur cette tâche. Il est maître à son tour. Généralement le passage à l’étape 4 résulte de l’autonomie (stade 3) des tâches corrélées. Ainsi par exemple, un opérateur d’une machine de production apprend d’abord à l’utiliser pour obtenir le résultat. Le résultat est validé par son superviseur. Au stade suivant, l'opérateur apprend à valider lui-même le résultat. Bien des opérateurs sont cantonnés à ce périmètre dans leur description de fonction. Cependant un opérateur peut continuer son développement personnel en apprenant les paramètres de la machine qui influencent le résultat, et comment les modifier. Puis il peut faire l’entretien de sa machine. Lorsque toutes ces tâches sont exercées en autonomie, l’opérateur se trouve dans la maîtrise de sa machine. On peut alors le laisser proposer des plans d’entretien, déterminer si et dans quelles conditions un nouveau modèle peut être réalisé sur la machine, appeler de manière autonome les services d’intervention en cas de panne, participer à la réflexion sur le choix de la machine à acheter pour la remplacer, rencontrer les fournisseurs et participer à la décision. Attention, cependant de ne pas tomber dans le travers habituel des entreprises. Le fait qu’il soit un maître de la tâche ne signifie pas qu’il doit devenir manager. Faire et transmettre sont des tâches différentes.
La grille
leadership
Pour chaque fonction, l’individu est invité à réaliser plusieurs tâches et chaque tâche peut donc être exécutée en quatre paliers. Un superviseur peut ainsi établir pour chacun de ses collaborateurs une grille détaillée similaire à celle ci-dessous.
Tâches | Apprend | Exécute sous supervision | Exécute avec autonomie | Exécute et maîtrise la méthode |
Tâche 1 | ||||
Tâche 2 | ||||
Tâche n |
Les cases colorées correspondent au palier atteint par l’individu.
On définira une tâche par le fait qu’elle produit un délivrable simple : un calcul, un rapport, une mesure, une transformation de produit, un soin. La période d’apprentissage d’une tâche est courte, de quelques minutes à une, voire deux semaines maximum. Si l’apprentissage est plus long, c’est probablement qu’il est composé de tâches multiples et il est préférable de les identifier séparément. Ainsi par exemple, pour un technicien responsable de mesures électriques ou mécaniques, on trouvera autant de tâches qu’il y a de mesures diverses. On rajoutera éventuellement les tâches de mise en graphe, d’interprétation, de communication, d’organisation du travail. Pour un commercial, on parlera de prise de rendez-vous, de conduite de réunion, de présentation d’entreprise, de présentation de produit, de rédaction de proposition, de compréhension des conditions commerciales et de leurs impacts, de négociation, de gestion de contrat… Pour un prestataire de services à domicile, chaque tâche sera considérée séparément, puis on peut y ajouter, se présenter, demander une évaluation au client, gérer des clients difficiles, planifier son agenda…
Progression
Une telle grille est riche d’enseignements utiles aux superviseurs et aux collaborateurs. Précisons que la liste des tâches est partagée par les deux personnes. Aux tâches attendues pour la fonction occupée par le collaborateur et définies par le superviseur s’ajouteront des tâches non attendues que la personne supervisée exécute parfois ou régulièrement en raison de sa participation à la dynamique de l’équipe ou de l’entreprise. Dans une organisation Ovale, il est intéressant de les reconnaître, de ne pas suggérer que cela ne fait pas partie de sa fonction et encore moins de lui reprocher. Bien au contraire, c’est une excellente occasion d’observer les appétences et en conséquence d’éventuellement développer de nouvelles compétences. Les superviseurs limiteront les tâches « hors fonction » si elles empêchent d’autres collaborateurs de développer leurs talents ou affectent la dynamique du groupe.
On perçoit dans cette énumération que la grille est une grille dynamique et c’est tant mieux ainsi. Le rôle des managers est de permettre aux collaborateurs d’évoluer sur les deux axes : d’une part, davantage de maîtrise, d’autre part, davantage de tâches.
L’observation de la grille permet, en un regard, d’estimer la marge de progression possible de chaque collaborateur, de proposer des formations, d’estimer le niveau de confiance du collaborateur en lui-même. Elle met aussi en évidence la capacité du superviseur à permettre le développement de ses collaborateurs. En effet si la majorité des tâches des supervisés reste au deuxième palier, celui de l’action sous supervision, on peut légitimement penser que le point de blocage se situe au niveau du superviseur.
Pacifiée
Les entretiens d’évaluation sont souvent vécus comme des moments difficiles, tant par les collaborateurs que par les managers. Cet outil est un excellent moyen de se rencontrer de manière pacifiée.
À l’origine de sa mise en place, j’avais un collaborateur responsable de l’écriture des manuels d’utilisation de nos appareils. Il évolua naturellement vers la formation des utilisateurs, puis vers l’assistance à l’installation et à la mise en service, pour devenir le référent en matière de support technique. Tout cela s’était fait progressivement, sans formalisation. Le collaborateur observant que certains collègues d’autres départements avaient obtenu une révision de barème et de salaire, vint me trouver pour l’obtenir en réclamant d’être nommé « product manager » pour bénéficier des avantages. J’eus le souhait de l’aider dans cette démarche et convins avec lui d’objectiver la demande pour qu’elle ne souffre pas de contestations de mes collègues « soucieux » de garder un équilibre dans les évaluations de tous les membres de l’entreprise. En créant la grille de « product manager », nous avons identifié la fixation des prix des produits dans les tâches à réaliser. Ce sur quoi, mon collaborateur me dit qu’il était exclu qu’il établisse des prix car il était un technicien et pas un commercial. Le résultat final de cet échange est très intéressant. Loin d’être fâché de ne pas avoir eu de révision de barème et d’augmentation, le collaborateur se trouva heureux d’être reconnu pour ces qualités techniques et du fait qu’il pouvait formellement les exercer en toute autonomie avec ma pleine confiance en ses capacités. Il lui sembla naturel que je lui propose malgré tout de participer à la définition des nouveaux produits à développer.
Conseils pour l’utiliser au mieux comme manager
Voici enfin quelques conseils personnels pour la mise en place.
- Votre objectif doit être le développement de vos collaborateurs. Concentrez-vous sur le développement de son autonomie dans les tâches qui sont les siennes. Si vous considérez un collaborateur comme autonome, agissez comme tel. Puis, offrez-lui la possibilité de se développer en ajoutant progressivement de nouvelles tâches corrélées à ses tâches exercées.
- Créez vos grilles sans les partager, en tout cas au moment de leur création. Elles vous serviront à vous améliorer, vous d’abord, dans la clarification des tâches, de vos attentes et des accompagnements. Si vous en faites un bon usage personnel, vos collaborateurs ressentiront la cohérence de vos accompagnements.
- La grille n’est pas une fin en soi. Elle n’est pas non plus un outil de sanction de type bon ou mauvais. Elle est un support au dialogue. Elle vous permettra de mieux cerner les limites de vos collaborateurs, d’expliquer les exigences, de déterminer et expliquer les accompagnements que vous leur proposez. Il se peut que certains collaborateurs ne puissent pas atteindre l’autonomie que vous souhaitez. En ayant clarifié la démarche à partir de l’outil, vous pourrez soit leur proposer une fonction où ils sont pleinement heureux (le cas de mon « product manager » présenté plus haut) soit vous en séparer avec explication qui leur permette de se réorienter sur une fonction où ils réussiront.
- N’en faites pas immédiatement un exercice général pour tous vos collaborateurs. Appropriez-vous l’outil sur des cas où vous avez des différends en ce qui concerne les attentes.
- Il n’est pas nécessaire de compléter la grille en un coup. C’est un outil de travail.
Voilà, je vous ai partagé le matériel nécessaire pour l’apprentissage de cette pratique. N’hésitez pas à me contacter pour toutes vos questions et vos commentaires ou nous partager vos pratiques.
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